La calorimétrie isothermique, un outil trop longtemps délaissé pour l’étude de la redox anionique
Depuis 7 ans, les chercheurs du RS2E multiplient les publications sur le phénomène de la redox anionique. Ce phénomène d’oxydation-réduction additionnel au redox cationique « classique », notamment dans les matériaux dits « Li-rich », ouvre théoriquement la voie à des batteries aux densités d’énergie plus élevées. Leur autonomie pourrait ainsi croître de 20%.
Malheureusement, ce phénomène s’accompagne généralement d’une hystérésis de tension (différence importante de tension entre charge/décharge) importante, c’est-à-dire qu’une partie de l’énergie du système est perdue par dissipation de chaleur. Un inconvénient majeur pour l’utilisation des batteries car cette dissipation pose un problème de sécurité. Dans une batterie en fonctionnement, elle provoque une surchauffe et peut être responsable d’un emballement thermique.
Quel mécanisme et quelles conditions thermochimiques conduisent à cette hystérésis ? A quel moment précisément l’énergie est-elle perdue ?
Ce sont les questions auxquelles une équipe du RS2E, amenée par le Prof. Jean-Marie Tarascon, a essayé de répondre dans un nouvel article publié dans la prestigieuse revue Nature Energy.
La calorimétrie isothermique pour sonder les batteries
Jusqu’à maintenant, la calorimétrie isothermique n’avait été que peu utilisée pour analyser le comportement thermique des systèmes de stockage. Cette technique permet pourtant de sonder les variations d’enthalpie et d’entropie dans une batterie et d’en déduire les mécanismes ayant lieu au niveau de la cathode lors de sa charge et de sa décharge.
Les chercheurs du RS2E ont justement décidé d’appliquer cette méthode d’analyse à un matériaux « Li-rich » modèle, LRSO ou Li2Ru0.75Sn0.25O3, pour comprendre les phénomènes mis en jeu lorsque la redox anionique est exploitée dans une batterie.
L’équipe de chercheurs a tiré de ses observations deux conclusions claires : 1) La présence d’une hystérésis de tension et la perte d’énergie associée se traduisent bien par une dissipation de chaleur 2) L’oxydation/réduction électrochimique des anions est immédiatement suivie d’un réarrangement de la structure pour la stabiliser. Les dissipations de chaleur sont dues à ces réarrangements et à l’entropie qu’ils produisent car le mécanisme est thermodynamiquement hors équilibre.
Figure 1 : En haut, schéma mécanistique (single-step) pour la redox cationique ; Au milieu, schéma mécanistique (multistep « square-scheme ») pour la redox anionique, similaire à celui de certaines machines moléculaires, en bas.
Du point de vue des résultats, cette compréhension fondamentale des mécanismes laisse à des recherches plus poussées la possibilité de développer de nouvelles approches pour atténuer l’hystérésis de tension, minimiser la génération de chaleur dans les matériaux et donc approcher une efficacité énergétique de 100%.
De manière plus générale, les auteurs de l’article espèrent que leur nouvelle méthode de caractérisation des batteries encouragera la communauté des électrochimistes à s’approprier la calorimétrie isothermique pour l’étude d’autres systèmes.
Références :
Gaurav Assat, Stephen L. Glazier, Charles Delacourt, Jean-Marie Tarascon
Nature Energy, 01/07/19, DOI : 10.1038/s41560-019-0410-6
Contact : Jean-Marie Tarascon, jean-marie.tarascon@college-de-france.fr / Charles Delacourt, charles.delacourt@u-picardie.fr